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L’Acte Psychanalytique

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L’Acte Psychanalytique

L’acte analytique : la jouissance, la passion et l’impasse.

Victor Azoulay

«  l’acting-out, ça consiste à faire passer le semblant sur la scène On appelle encore çà la passion. »                                                   [Le Séminaire XVIII, 1971,  p.33]

« Le nouvel amour » est la formule même de l’acte. Tout amour  serait en lui-même un nouvel amour » (Lacan)

« Ce déplacement de la négation de  la contingence à la nécessité (serait)  « le point de suspension à quoi s’attache tout amour.». (« Le rat dans le labyrinthe »)

A la question : « Quel rapport du schématisme de Lacan à la pratique analytique ? » Je répondrai, à partir de mon propre schématisme,  de la manière dont la question de  L’Acte psychanalytique doit être abordée, c’est-à-dire, indirectement.  Dans un récent article intitulé -« L’impasse de la passion »[1]- ma conclusion fut un peu rapide, précipitée.  Je me propose de la reprendre afin de lui donner un prolongement. C’est cela qui m’a incité à préparer cet exposé-dans le cadre de  Dimensions de la psychanalyse -à partir du résumé de l’Acte psychanalytique. Sa lecture me permettra de commenter et de clarifier ce qu’il en est de la clinique du psychanalyste, ce que cet article récent reprend dans sa conclusion ; en particulier, les notes3,4 - :

 

 

« […] Dans ce qui serait la clinique du psychanalyste, ce qui se dit  dans ce qui s’entend, en deçà ou au-delà du récit de l’analysante, le « moment venu »[2], révélera[3] sa réécriture[4]. Là, peut apparaître  une  certaine difficulté, comme celle  soulignée  par Freud  à propos de l’ombilic du rêve[5] ; cette limite ne représente pas toutefois, un obstacle insurmontable  au travail analytique : l’acte analytique, en effet, permet le franchissement de l’impasse propre à chaque cure.  L’attention constamment en mouvement de l’analyste, veille à relancer opportunément, un processus en potentielle stagnation. Se fonde, alors, une certitude, mais, une certitude sans garantie ; celle du sujet !  C’est, pour  cet analyste,  un point d’orgue [6] de la partition analytique,  qui lui permet ainsi, de continuer malgré tout, d’y croire …d’y croire passionnément [7] !

L’Acte psychanalytique[8] permet-il de surmonter l’affrontement à l’impossible et/ou de franchir l’impasse de la passion? Quelle est la consistance logique de ce « franchissement de l’impasse propre à chaque cure »  que l’acte analytique est censé opérer ? Tenter d’apporter un début de réponse à cette question brûlante est, pour moi,  l’occasion , d’abord, d’explorer  ce que l’  « Acte psychanalytique » peut recéler de crucial pour l’analyste dans la conduite d’une analyse et d’en repérer les subtilités ; ensuite, de prendre la mesure des difficultés « non insurmontables » rencontrées dans le déroulement singulier de chaque analyse-sans avoir à se préoccuper de «  ce qui se fait ou bien ne se fait pas »    (« Variantes de la cure-type»- (Les Ecrits, p.324) . L’écriture de ce qui va suivre se réfère essentiellement à la lecture du résumé du Séminaire XVL’Acte psychanalytique ) de Lacan. Je commencerai par citer quelques brefs extraits  de la lecture qu’en  a  faite  René Lew. J’évoquerai, ensuite, les développements que François Baudry en avait largement élaborés ; et à partir de son article « Transformations de l’amour », j’essayerai de rapprocher ces dernières de ce que Lacan avançait dans son énigmatique « rat dans le labyrinthe » (Encore, p.131-132)

« Désidentification et désaification » [9] selon René Lew

Je  résumerai, à ma façon, les formulations que René Lew a tenu à souligner lors du Colloque du 4-5 octobre 2008.  Voici les passages qui, au fil de ma lecture, ont retenu mon attention :

« Sous le double abord de la désintrication pulsionnelle, on parle du clivage du sujet ». Un peu plus loin, R.L  différencie le sujet de la supposition (fondant le narcissisme) et le sujet du savoir (l’inconscient)[…] L’objet a aurait la consistance d’une constante logique, spécifiée comme valant en soi, le sujet, lui, serait variable.  « La question de l’acte psychanalytique est d’abord une question de logique. Ces deux termes de désidentification et de desaification (celui-ci p.379) sont essentiels. […] Faire acte à partir du trouage de l’objet et de l’évidement de la fonction : c’est la raison d’être de la torsion qui évite de passer par le bord du trou […]. ». Pour simplifier, en se limitant au carrefour des bandes pris isolément : la désaification souligne la bande (comme fonctionnelle), la désidentification souligne le trou (comme objectal). Comme le lien de la bande au trou (ou lien de l’asphérique au sphérique) le lien  de la désidentification à la la désaification est littoral. Il ne peut y avoir de transmission d’un savoir objectivable mais seulement  transmission de cette asphéricité même qui se représente comme carrefour de bandes et qui fonctionne comme évidement (désaification) et non trouage. (Toujours différencier fonction et objet) ».  « […] l’objet a, comme manque, fait barre,  et qu’il se présente  troué en  tant que a. ». René Lew distingue les deux termes, désidentification et désaification ainsi : la désaification permet de sortir du symptôme au profit du sinthome.  La fonction du dire se soutient du sinthome. Le psychanalyste « monte » la structure en symptôme, précise Lacan […] ce dont il s’agit entre sinthome et symptôme ; parler de montage, là, renvoie aux praticables extensionnels- seuls à rendre saisissable la structure-sinon, on aurait de l’impraticable.  A la page 418, Lacan dit : « La métonymie opérant d’un métabolisme de la jouissance dont le potentiel est réglé par la coupure du sujet, cote comme valeur ce qui s’en transfère (de jouissance) ».  C’est là qu’opère la désaification. Quand René Lew parle de la faille du transfert, il distingue nettement  supposition et savoir entre lesquels existe un écart-plus tard nommé « contien » par Lacan- ; cet écart se spécifie comme faille au sein même de la structure ; cette faille se retranscrit en manque pour soutenir fantasmatiquement le sujet dans son désir pour un objet toujours déjà perdu. […] la faille-comme maintien de l’écart dans le continu- assure l’asphéricité de la différence dans l’identité […]. Ces transcriptions de la castration en écart, en faille, en manque,  en barre sur le sujet ou l’Autre, sont littorales.  Leur articulation dialectique s’exprime au niveau de l’évidement ontologique de manque à être l’objet : chu, perdu raté. Cet ordre de l’objet-  comme barre-divise le sujet. La clinique s’en suit qui littoralise l’objet pour le sujet, quitte à diviser l’objet lui-même : comme fétiche (entre objet de jouissance et  objet interdit) comme phobie (entre objet mortel du désir et objet identificatoire),  comme obsession (entre objet répétitif et acting-out démonstratif),  comme paranoïa (entre le sens toujours entendu et la voix qui s’impose). Effet de castration attenant (p.377). Il y a de l’Autre en logique […] c’est dire qu’il n’y a d’identification que depuis ce S( /A barré). Cela se métaphorise comme Père.   En parallèle : l’Autre et le sujet, d’une part,  et le corps et le symptôme, d’autre part. […] l’objet a renvoie à la jouissance de l’Autre, quand c’est le sujet qui se supporte de la jouissance phallique. Mais rien ne se construit de ces liens Intension ( sujet)/ extensions (objets), Autre, corps) sans passer par leur déconstruction.[…] Le psychanalyste en se faisant « produire avec de l’objet a », sort de la logique des prédicats et cela implique qu’il en passe par une désidentification- ce qui signifie qu’il n’y a pas l’idée de tout-« Dès lors peut-être (cet acte) permet-il de mieux dénommer (cette idée de tout) d’une désaification ».(p.379)

« En même temps »[10]

[Sur L’Acte psychanalytique]

La question de l’Acte Psychanalytique doit être abordée indirectement, « En même temps », insiste François Baudry : la conjonction de deux niveaux du nœud borroméen va éclairer la question de l’acte psychanalytique. L’acte qu’ «est » la psychanalyse  s’appuie sur la question du « Nœud Borroméen » ; il est nécessaire de considérer la question du « Nœud Borroméen » sous l’angle de l’acte et pas seulement de la structure. C’est quand on essaie d’aborder « en même temps » la question du « Nœud Borroméen » et celle de l’acte que surgit la difficulté. Voici les deux écueils qui sont à éviter : 1/ Considérer l’acte comme objectivable. 2 / Corréler la question de l’acte à un sujet constitué ; d’où la nécessité d’une  approche indirecte. La question de l’acte se dédouble entre ce qui peut-être saisi dans la structure et ce à quoi  cette saisie peut faire accès de l’acte « comme tel ». Ainsi, l’essentiel des difficultés est précisé avec clarté et concision. La « dimension d’acte » (la manière dont l’acte s’infiltre dans la structure) est à distinguer de la « dimension de l’acte ». Ces deux dimensions sont importantes dans la problématique de l’acte psychanalytique. La « dimension d’acte »-susceptible de faire pivot pour  l’accès à l’acte-  peut-être un autre nom pour l’objet a, dans sa fonction de moyen[11].

Dans la psychanalyse on ne peut pas aborder l’acte autrement que par la « dimension d’acte » infiltré dans la structure/ ou encore, autrement que par l’objet a.

Deux niveaux du nœud sont à distinguer :

A / Le premier niveau du nœud (eu égard au rôle de l’insu).

a  / un insu transitoire (provisoirement, qui peut devenir su) ;                                                                                                                                                         b / un insu radical, un impossible « à savoir ».

Il y a entre le savoir, l’insu qui est à savoir, et l’impossible à savoir ce que l’on détermine comme  « Nœud Borroméen ». Ce nœud Borroméen-là n’est pas le même que celui que Lacan a défini par les catégories RSI.  On retrouve dans la psychanalyse ces deux registres de l’insu ; ce nœud Bo-là est impliqué dans le nœud de la psychanalyse comme un premier niveau, niveau de base correspondant à l’Inconscient. Poser l’existence de ce nœud-là amène à réinterroger notamment la question de l’Inconscient dont la conception fait enjeu dans la psychanalyse. En guise d’illustration se référer au rêve  de  Freud,  « L’injection faite à Irma ». Il faut souligner que : le savoir n’est pas sans l’insu, ni sans l’impossible à savoir, mais l’insu qui est « à savoir » est, en un autre sens, déjà une sorte spéciale de « savoir » véhiculé par les signifiants ; celui-ci est susceptible de s’élaborer comme savoir inconscient[« savoir de second registre », ce savoir inconscient qui s’élabore, même s’il en vient à être su, dit François Baudry.] On constate la présence de deux volets ; deux versants : plus le savoir inconscient s’élabore, plus il s’élabore en même temps comme séparation par «  rapport à » l’impossible sans lequel il ne serait pas.

B / Le second niveau du nœud :  (« La borroméennité » que Lacan a déterminé comme  R S I ) Ce deuxième niveau est en jeu à partir du moment où le Réel y est plus déterminé en ce qu’il s’agit aussi de question de Jouissance[12] (Peut alors s’y poser la question du Corps et de l’Imaginaire)  Dans les deux versants, dans ce dédoublement de l’Inconscient, un des versants peut en cacher l’autre puisque notamment : ainsi ,  «  Qu’on dise » s’oublie  « derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend » ; c’est-à-dire derrière ce qui peut s’élaborer comme savoir inconscient…Ce qui peut, parfois, nous amener à perdre de vue qu’il est « rapport à » l’impossible (à savoir) et cette élaboration peut devenir un « je n’en veux rien savoir » de l’inconscient.).

Dans la psychanalyse, du fait de la spécification  par l’hypothèse de l’inconscient, le Réel dont il s’agit n’est pas que l’impossible à savoir : le Réel est « en même temps » plus spécifié, ceci dans un premier niveau du nœud ; ces spécifications sont dans le discours analytique ce qui vient « à la même place » (que le Réel) ; soit d’abord le Phallus, ainsi que le Dire, à quoi il faut ajouter la Jouissance (du deuxième niveau). Ce jeu de spécifications est à la fois théorique et pratique. Il y a un aspect d’impossible dans le Phallus, même si cet aspect se transforme (il y a donc un aspect de « rapport à » l’impossible dans la fonction phallique.)

Il y a un troisième registre du savoir : le « Savoir du Réel ». Faisant partie de ce troisième registre, le « Nom-du-père »; c’est un savoir du phallus ; mais pas seulement, un   « Savoir du Nom », ajoute François  Baudry.

La « dimension d’acte » (un autre nom pour l’objet a) de l’inconscient dans la  spécification de la borroméennité se trouve déjà retravaillée, prolongée par la mise en acte qu’est la pratique. La dimension d’acte inhérente au point phallique lui-même et au Réel- ordonnée à la question de l’enveloppement : Les S1 « bourdonnent » ; ce bourdonnement caractérise l’enveloppement ; cet enveloppement c’est l’excès de l’acte par rapport à ce qui s’élabore. La dimension d’acte réside d’abord dans l’excès réitéré des S1 par rapport aux chaînes de savoirs qui se constituent. Ainsi le phallus se répète dans cet excès, dans ce bourdonnement.

Quelles transformations[13] pour la passion amoureuse ?

La passion[14] amoureuse dans la cure  peut  en effet,  passer de la meilleure à la pire des choses : en se transformant, par exemple, en haine ou en activant des fantasmes angoissants de fusion avec la mère. Lacan parle de  « hainamoration ». Que pense Freud de la transformation ? [15] [A  propos du « mythe héroïque » n’avait-il pas avancé la formule de « la mensongère transformation poétique du temps originaire »]. Si l’amour, pour Freud, est de nature essentiellement narcissique, une projection de l’Idéal du moi sur un objet, Lacan, quant à lui, critique fermement le narcissisme primaire ; il dénonce dans l’amour une illusion : illusion de trouver dans l’Autre un complément. (L’amour  « masque ce qui nous manque »).  Mais l’amour peut être en lui-même une transformation. « Le nouvel amour », dit Lacan  est la formule même de l’acte. Tout amour  serait en lui-même un nouvel amour. ».

Jusqu’où l’amour a-t-il affaire avec la division du sujet ? Et avec les difficultés à la supporter ? Comment « traiter » cette division autrement qu’en la refoulant ou en la déniant ? Comment la transformer ? L’amour, ce  serait d’avoir accès en même temps à l’objet et à l’Autre. Et la haine, alors ?  Ce qui prévaut, dans l’idée de l’amour c’est d’être aimé. On aime pour être aimé. On peut alors comprendre que  Freud réfère l’angoisse à la perte d’amour : « se couper soi-même de l’amour ».

Un « autre nouage » !

Qu’est-ce que les « nœuds de l’amour » ? S’interroge François Baudry :   «  Au mieux ils ratent, ce qui renvoie à  l’échec de l’articulation d’un rapport sexuel, et qui en rejoint l’aspect traumatique. C’est ce ratage qui fait apparaître la nécessité d’un « autre nouage », celui du nœud borroméen autour de l’objet a. On pourrait distinguer trois nouages : le premier serait celui du « nœud d’amour » avec son ratage. Le troisième serait le nœud borroméen ; ce serait la condition de l’« amour vivable ».  Quant à la position intermédiaire ? Ce serait le nœud à quatre avec le symptôme. L’analyse serait, elle aussi, un symptôme qui permet de travailler le ou les symptômes cliniques. En plaçant l’analyse en nouage intermédiaire cela équivaudrait à : l’analyse, c’est « apprendre à aimer »….Dans l’amour de transfert le gain est plus progressif, passant par le travail analytique. Concernant l’amour, à quoi conduit le travail analytique ? Et comment ce travail passe par celui qui s’effectue sur le symptôme et par l’exploration de fantasme ? Il s’agit aussi de la manière dont la pulsion se recourbe sur de l’objet. L’examen de  « un enfant est battu » : être battue par le père est ressenti comme équivalent à  être aimée « génitalement » par lui.  N’est-ce pas là une transformation de l’amour ? Sur le chemin que trace le travail analytique  quelles transformations pour l’amour dans l’expérience transférentielle ? Ici, j’évoquerai un « moment » de la cure d’une jeune femme : V.  est en analyse depuis cinq ans. Elle ne cesse de se plaindre de ses multiples insatisfactions.  Elle décide, à sa propre initiative, de s’allonger. C’est alors qu’elle réussit à dire : « A la dernière séance, j’ai réalisé que j’avais été odieuse avec lui- « lui ? », ajoute-t-elle, c’est mon analyste ! ». Lors d’une séance ultérieure, il lui revient le souvenir d’un rêve : «  Je suis dans une chambre d’hôtel, allongée sur le lit à côté de J. un de mes anciens amis. Je sens que J. est en érection mais il s’éloigne de moi ; j’en suis outrée. »   Elle associe sur le fait qu’elle est invitée ce W.E. chez une amie dont le mari-comme par hasard- s’appelle également J. : « c’est une simple coïncidence ». Un rêve de transfert? Son interprétation serait hasardeuse. Sans commentaire

Le réemploi de la « jouissance tenue pour perverse »- à condition d’évidement- ne concerne pas que l’érection. On aime pour être aimée ; on peut suivre  ce réemploi de jouissance dans la sublimation, mais aussi, sous un certain angle, comme constituant la pratique analytique elle-même ! Le dépliement du fantasme pourrait conduire à vider l’Autre.

Je reprends, à présent, à propos du « moment venu révélera sa réécriture » la note3 « Dans ces  moments cruciaux de point de  non-savoir où se nouent deux vides… » : Dans l’analyse, c’est donc à deux vides distincts qu’on aboutit : celui de l’Autre et celui de l’objet, distincts mais semblables pour que, par là passe (de) « l’amour vivable ». Dans ce que Lacan appelle les « fantômes de l’amour » : quand on dit que la femme « se donne », c’est par identification à l’objet phallique qu’elle donne. Ou encore quand un homme « se perd », c’est par identification avec l’objet disparaissant dans la détumescence. Y joue la pointe du narcissisme. C’est ce dont l’objet a a  à être vidé. Cette pointe de narcissisme se perd dans le rapport à l’Autre et à la castration. Mais la libido, poursuit François Baudry, par son abandon, est écornée, vidée du reste de la jouissance12 initialement perdue. L’objet cause de désir ne peut-il pas venir à se confondre avec la jouissance de l’Autre ? L’élaboration de l’objet implique de le distinguer de la jouissance de l’Autre. Ce qui aboutit à la juxtaposition suivante : D’une part, du côté du vide de l’objet et du réemploi de la « jouissance12 prétendue perverse », le phallus (par le phallus, l’Autre prend barre sur la libido). D’autre part-et de manière juxtaposée- du côté du vide de l’Autre cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas sa jouissance). L’amour s’adresse à la jouissance de l’Autre. L’élaboration de l’objet fait exister la jouissance de l’Autre, par la parole ! « La pensée est jouissance ! » dit Lacan. L’ambiguïté des ravinements[16] du lieu de l’Autre se répercute dans l’objet : tantôt comme les « ravinements » de la jouissance ; tantôt comme les « ravinements » du lieu de l’Autre, laissant passer un trop de jouissance ; c’est ce à quoi  la sublimation  dans sa difficulté s’affronte, par les discontinuités qu’elle produit, par ses « ruptures de semblants »[17]

« La passion amoureuse », « Le choix d’amour »

Après tout ce qui vient d’être déplié autour des « nœuds de l’amour » dans le résumé de l’« Acte psychanalytique », comment ne pas tenter de rapprocher cette  dernière expression avec ce  « choix d’amour » dont parle Lacan dans Encore (p. 131-132) ? L’article s’intitule « Le rat dans le labyrinthe » [18] ; article vertigineux [qui m’a fait penser au film Entrapment « haute voltige », qui donne le vertige, et qui se termine par : « Impossible ! But doable »]. A cinq ans d’intervalle,  entre les séminaires XV et XX, qu’est-ce qui a pu changer ? Je propose de souligner l’écart qui sépare, d’une part, ce qu’a pu recouvrir  le « nouvel amour »-la formule même de l’acte-, les « nœuds d’amour », et d’autre part, le « tout amour », le « choix d’amour » dont la référence reste incertaine, mouvante, insaisissable, même. Ne pourrais-je pas, après tout, me demander : à quel type d’amour, Lacan fait-il référence, au juste, dans cet affrontement de l’amour à l’impossible ? Ou encore, parallèlement, dans le cas d’une passion amoureuse dans une cure, à quoi est due cette impasse dans le progrès du travail ? L’abord de cette question épineuse de l’amour est sensiblement différent dans chacune  des deux éventualités.   Voici pour mémoire ce que Lacan dit lors de cette journée du 26 juin 1973 :

« Tout amour se supporte d'un certain rapport entre deux savoirs inconscients. [...] Le choix de l'amour c'est [...] la reconnaissance à des signes ponctués énigmatiquement de la façon dont l'être est affecté  en tant que sujet du savoir inconscient » […]  « C'est à l'affrontement à cette impasse-à cette impossibilité-le réel- qu'est mis à l'épreuve l'amour. »  Ensuite, à propos du « déplacement de la négation de la contingence  à la nécessité, [...] Lacan s’interroge : « Qu'en est-il de la négation quand elle vient prendre la place d'une inexistence, d'une impossibilité.[...]C'est par l'affect que quelque chose se rencontre, qui est un instant ( temps de suspension), donne l'illusion que le rapport sexuel cesse de ne pas s'écrire.[...]. »

Ce que l’on peut retenir d’essentiel, c’est  que  ce déplacement de la négation « de la contingence à la nécessité serait le point de suspension à quoi s’attache tout amour.».

A propos de cette question  […] du « Tout amour », Lacan rappelle que : « Tout amour […]-rapport entre deux savoirs inconscients-, est mis à l’épreuve quand il affronte l’impasse, l’impossibilité- du rapport sexuel. [..]. «C’est seulement par l’affect qui résulte de cette béance que quelque chose se rencontre, […] (p.131). Le déplacement de la négation, précise-t-il, de « la contingence à la nécessité, c’est le point de suspension à quoi s’attache tout Amour ! ( p. 132)

En conclusion, quelques réflexions se dégagent:

Dans l’analyse, une question pratique se pose au psychanalyste- qui, on s’en souvient-« se fait avec de l’objet a »-si tant est que : « […], à situer son acte de topologie idéale de l’objet a, il se déduit que c’est à ne pas penser qu’il opère. Un « je ne pense pas » qui est le droit, suspend de fait le psychanalyste à l’anxiété de savoir où lui donner sa place pour penser pourtant la psychanalyse sans être voué à la manquer ». (p.37)

Pour un psychanalyste, quelle pourrait être, alors, quelle devrait être, l’attitude (recouvrant sa place et sa position) souhaitable ou requise qui lui permette-à la fois et/ou en même temps-de « penser » la psychanalyse et de veiller à ne pas manquer la conduite d’une cure analytique ? Par  ailleurs, comme : « Les quantificateurs logiques paraissent achopper. Nous sentons l’acte psychanalytique céder à rompre la prise dans l’universel à quoi c’est leur mérite de ne pas satisfaire » […] « Car ce que cet acte aperçoit, c’est le noyau qui fait le creux dont se motive l’idée du tout, à la serrer dans la logique des quantificateurs. » « Dès lors peut-être permet-il de la mieux dénommer d’une désaïfication » ? (Autres écrits,  p.379 )  ?

Comment éviter de subir l’emprise de la logique des quantificateurs, comment « rompre cette prise dans l’universel » ? En effet, quand  les catégories du nécessaire, du contingent, de l’impossible, du réel sont employés en psychanalyse, les quantificateurs logiques  leur font subir un profond  bouleversement.  Peut-on, dès lors, s’épargner l’éprouvante gymnastique intellectuelle que suscite l’énigme entretenue dans cet article vertigineux [« Le rat dans le labyrinthe » (Encore, p.131-132).]  Si les questionnements soulevés, demeurant  non tranchés-comme le dit Lacan- n’ont, à ce jour, rencontré aucune clarification satisfaisante, ils sont, toutefois, laissés ouverts à la merci du schématisme de chaque analyste, à la discrétion  de son discernement, de ses propres élaborations et de ses éventuelles avancées dans ce domaine, conjointement logique et clinique. C’est ainsi, peut-être, qu’un espoir subsisterait  d’« aller au-delà du point d’arrivée de Lacan ».

Paris le 1er Décembre 2011



[1] Victor Azoulay, « L’impasse de la passion, le travail de l’analyste à l’épreuve des résurgences adolescentes dans une cure d’adulte  », in Les Lettres de la S P F n°26-2011, p.107-124

[2] Le  « moment venu » se dit : Rechtzeitig.  Alors que le bon moment se dit Kairos.

[3] Dans ces  moments cruciaux de point de  non-savoir où se nouent deux vides……Ce point nécessiterait un autre développement.

[4] S. Freud, Lettre à Fliess  dite 52 : Dans sa lettre du 6 décembre 1896, Freud se réfère aux différents avatars de l’écriture(Schrift) : Niederschrif (inscription) […] Umschrift (réécriture) ; il considère le refoulement comme un refusement de la traduction d’un mode d’inscription à un autre et qualifie de réécriture, transposition d’écriture  (Umschrift), ce réordonnancement (Umordnung) des traces mnésiques selon des relations nouvelles. Peut-on parler de transformation ?

5 S. Freud : « La Science des rêves »,  OCP Volume IV, p.578 :    « […] une pelote de pensées qui  ne se laisse pas démêler […] c’est alors l’ombilic du rêve, le point où il repose sur le non-reconnu ( Unerkannt ) […] D’un point plus dense de cet entrelacs s’élève alors un souhait de désir comme un champignon de son mycélium autour d’un point central.  »

6Point d’orgue : arrêt sur image  et,  point particulier « instable » d’un système en mouvement : une  contradiction ? Un oxymoron !

[7] On peut lire sous la plume d’un Jean Giono ( « Voyage en  Italie » ) :  « […] la langue de Dante manque de mots pour parler de la  variété infinie des passions […],  des passions humaines dont le spectacle  constamment renouvelé […] est une porte ouverte vers la vérité. » [ Mes   italiques ]

[8] Jacques Lacan, Autres écrits, aux Editions du Seuil, 2001, p.373-389

[9] René Lew,  Intervention au Colloque de Dimensions de la psychanalyse sur l’identification, 4-5 octobre 2008, « Désidentification et désaification »

[10] François Baudry, « Eclats de l’objet », Ed. Campagne Première, Collection un parcours, « En même temps »,  p.217-235

[11] Jacques Lacan, voir le résumé dans : «  Autres écrits », aux Editions du Seuil, 2001, p.373-389) :

p.377 : « […] Si le transfert apparaît se motiver  déjà suffisamment de la primarité signifiante du trait unaire, rien n’indique que l’objet a n’a pas une consistance qui se soutienne de logique pure.[…]  le psychanalyste dans la psychanalyse n’est pas sujet, et  qu’à situer son acte de la topologie idéale de l’objet a, il se déduit que c’est à ne pas penser qu’il opère. Un « je ne pense pas » […] suspend de fait le psychanalyste à l’anxiété de savoir où lui donner sa place pour penser pourtant la psychanalyse sans être voué à la manquer. »

p.379 : « (il y a du psychanalyste) et c’est à quoi répond l’objet a.   / Le psychanalyste se fait de l’objet a. Se fait, à entendre : se fait produire ; de l’objet a : avec de l’objet a. /

[12] Sur la jouissance, Autres écrits, p.380 :   «[…]que la jouissance tenue perverse, est bel et bien permise par là, puisque le psychanalyste s’en fait la clef, il est vrai pour la retirer aux fins de son opération. Par quoi il n’y a qu’à la lui reprendre pour lui rendre son emploi vrai, qu’il en soit ou non fait usage. […]  Plaisir,  barrière à la jouissance » « La pensée est jouissance. » J. Lacan, « Lituraterre » :« Ce qui de jouissance s’évoque à ce que se rompe un semblant, voilà ce qui dans le réel se présente comme ravinement »

[13] François Baudry, « Eclats de l’objet », Ed. Campagne Première, Collection un parcours, « Les transformations de l’amour ? »p.59-68

14Autres écrits : p.378 : « […], l’aveu que sa passion n’a place et vertu qu’à sortir des limites fort bien rappelées comme étant celles de la technique[…]. 

[15] S. Freud, dans « Psychologie des masses et analyse du moi » ( OFCP, tome XVI, p.74-76),  on peut lire : « […] celui qui se mit dans le rôle du père, fut le premier poète épique, le progrès fut accompli dans sa fantaisie […] Le poète, par mensonge, transforma la réalité effective dans le sens de son désir. Il inventa le mythe héroïque […] Dans cette mensongère transformation poétique du temps originaire, la femme, qui avait été le prix du combat et l’appât du meurtre devint vraisemblablement la séductrice et l’instigatrice du forfait » (Mes italiques)

[16] J. Lacan, Résumé du Séminaire « La logique du fantasme » (1966-1967) :   « Elle (la jouissance) ne s’aborde même en pratique que par les ravinements qui s’y tracent du lieu de l’Autre »

[17] J. Lacan, « Lituraterre »,  Les Autres écrits : « Ce qui de jouissance s’évoque à ce que se rompe un semblant, voilà ce qui dans le réel se présente comme ravinement ».

[18] J. Lacan,  Le Séminaire XX, Encore, Le rat dans le labyrinthe, paragraphe 4,  p.131-132, Le 26 juin1973.